Journal étudiant de Coralie Nadeau

l'Opiniâtre

Le 7e étage :

La légende


Partie 2


Les avertissements n'existent pas pour rien

















     -     Tout ça pour ça ! s'écria Jean.

Les trois amis venaient à peine d'entrer dans la pièce sombre, et déjà toute la peur qu'ils avaient pu ressentir s'était évaporée. Devant eux se trouvait le plus banal de tous les placards de concierges. La pièce, qui ne mesurait pas plus de 10 m2, était encombrée de balais, de vadrouilles, d'aspirateurs et de chiffons de toutes sortes. Le tout dégageait une odeur à mi-chemin entre la moisissure et le rat mort, ce qui fit grimacer les élèves.

     -     Pouah, qu'est-ce que ça pue ici ! dit Yvan en se pinçant le nez.

     -     Quelle ironie, remarqua Marie. Voici un placard qui aurait bien besoin d'un peu de ménage.

En effet, il était impossible de faire un pas dans la pièce sans marcher sur une brosse ou renverser des bidons de produits javellisant. Mais Jean, pour qui le défi ne faisait jamais peur, s'aventura dans cette jungle de manches à balais, bientôt suivi par ses camarades.

     -     Je suis sûr qu'il y a des choses cachées ici ; un banal placard de concierge est l'endroit idéal pour dissimuler des objets, dit Jean.

     -     Je suis d'accord avec toi, ajouta Yvan avant de se prendre un manche de serpillère dans l'œil. Aïe ! pesta-t-il. Ça n'a que des désavantages d'être grand, se désola le garçon.

Effectivement, Jean et Marie étaient assez petits pour que les manches en bois dépassent légèrement leur dessus de tête. Malheureusement, la grande carrure d'Yvan exposait son visage aux manches de râteaux, serpillères et autres balais étranges dont seuls les concierges connaissent la véritable fonction.

Dès que tous les enfants furent rentrés,  ils se mirent à fouiller la pièce de fond en comble. Pour circuler, ils devaient sans arrêt écarter des aspirateurs et des appareils de nettoyage, un peu comme des pirates se frayant un chemin dans une jungle à coups de machette.

Jean se retrouva face-à-face à une gigantesque étagère sur laquelle reposait une collection de chiffons crasseux. Mais ces chiffons étaient très étranges, car ils étaient exposés dans des boîtes en verre. En approchant l'œil, le jeune élève put distinguer des plaques descriptives qui, jadis, devaient être argentées, mais qui aujourd'hui étaient ternes et verdâtres :


« Chiffon ayant servi à nettoyer le prestigieux trophée des Kodiaks, de 1940 à 1951. »


« Guenille ayant été utilisée par Antoine L'Alien pour polir les chaussures du directeur Ardnas Nohcurt. Bravo à Antoine pour son nombre record de retenues, où il a poli près de 640 paires de chaussures au total. »


« Torchon ayant essuyé les dégâts de nourriture après la Grande Bataille de Bouffe de 1856. La cafétéria a puni le coupable, Angelo Surveyant, en le gardant une année entière à la plonge durant tous les midis. »


Fasciné, Jean continua de parcourir du regard les chiffons et lut les plaques descriptives. Certains torchons étaient si vieux qu'ils ressemblaient plus à du parchemin cassant qu'à du tissu. D'autres encore étaient si sales que le garçon n'osait même pas les regarder, de peur d'y apercevoir des mites ou tout autre bestiole dégoûtante qui y aurait fait son nid. Alors qu'il s'apprêtait à appeler ses amis pour leur partager sa découverte, Yvan se manifesta :

-     Venez voir, cria-t-il ! Tu n'en croiras  pas tes yeux, Jean.

Après s'être frayé un chemin dans la forêt de manches à balais, Jean et Marie rejoignirent Yvan au fond du grand placard. Ce dernier tenait un grand sac poubelle dans ses mains.

-     Qu'est-ce que c'est ? demanda Jean.

-     Regarde pour voir, répondit Yvan, un sourire en coin.

Vif comme l'éclair, le garçon s'empara du sac et regarda à l'intérieur. Au début, il ne comprit pas trop ce qu'il voyait, car le sac était rempli de plein d'objets hétéroclites : des briquets, des jeux de cartes, des stylos colorés, des chandails troués et… une balle rebondissante ? À ce dernier item, Jean se figea. Il y avait environ deux semaines, le jeune garçon avait apporté à l'école la nouvelle balle rebondissante qu'il avait reçu à son anniversaire. Bien évidemment, il ne s'était pas contenté de la montrer à ses amis, et il s'était mis à la lancer partout. Il avait eu beaucoup de plaisir à voir le jouet rebondir à toute vitesse dans la cage d'escalier, jusqu'à ce qu'un surveillant lui confisque sa balle. Malgré les dix longues minutes que le garçon avait passées à supplier à genoux le surveillant, rien n'avait pu empêcher la confiscation du jouet. Jean croyait pourtant son charme indéfectible.

C'est pourquoi, quand l'élève vit la sphère de caoutchouc marbrée de rouge et bleu, il eut un petit hoquet de surprise. D'instinct, il prit la balle et, pour s'assurer que c'était réellement la sienne, scruta la surface de l'objet. Ses yeux finirent par localiser la gravure suivante : J. S. D., signifiant « Jean Super Dangereux ». À peine avait-il mis la balle dans sa poche que Marie lui prit violement le sac des mains et commença à fouiller parmi les objets.

     -     Je n'arrive pas à croire qu'on ait trouvé le fameux Sac des Objets Confisqués, se réjouit Jean. Il y a tant d'autres choses que les surveillants m'ont enlevé… Marie !?

Subitement, la jeune fille venait de renverser le contenu du sac et tenait dans ses mains la plus moche poupée Fraisinette que Jean n'ait jamais vu.

     -     Ça va Marie ? demanda Yvan, soucieux.

Elle avait les larmes aux yeux et serrait la poupée si fort qu'on jurait qu'elle allait exploser.

     -     J'ai enfin retrouvé Fraisou ! s'exclama Marie.

D'un geste brusque, elle plaça la poupée en face d'elle et la fixa d'un air si rageur et déterminé qu'il fit peur à Jean.

     -     Rien ne pourra plus jamais nous séparer, jura Marie à Fraisou.

Et la jeune élève se mit à couvrir son jouet de bisous affectueux.

Encore stupéfait devant un tel spectacle, Yvan finit par dire :

     -     Je ne savais pas que tu aimais les poupées.

Marie lui jeta un regard noir.

     -     C'est à ma petite sœur, se justifia-t-elle. Je l'avais apportée à l'école pour une pièce de théâtre, mais un surveillant me l'a confisqué.

     -     Bien sûr…, acquiesça Jean d'un ton qui disait clairement qu'il n'allait pas gober un tel bobard.

     -     Ça restera entre nous, promit Yvan.

Marie secoua la tête en guise de réponse et rangea aussitôt Fraisou dans son sac.

     -     Regardez ! s'exclama Jean pour changer subtilement de sujet. Il y a une porte derrière cette étagère.

Effectivement, derrière le meuble qui lui faisait face se cachait le cadre d'une porte. Avec l'aide d'Yvan, les deux garçons poussèrent l'étagère où étaient entassés des dizaines de porte-poussière pour finalement dévoiler une porte en métal dépourvue de fenêtre. En plein centre, il était écrit :


« Attention : défense d'entrer sous peine de vivre d'effrayantes aventures. »


     -     Ce doit être la porte menant au toit, avança Jean.

     -     Oui, et c'est surtout marqué de ne pas l'ouvrir, fit remarquer Yvan.

Faisant comme s'il n'avait rien entendu, le jeune garçon voulut tourner la poignée, puis fut surpris de voir qu'elle était verrouillée.

     -     Bigre ! jura Jean (un mot qu'il utilisait souvent depuis qu'il avait lu Cyrano de Bergerac. L'escrimeur était désormais son nouvel idole). Quelqu'un aurait vu des clés trainer quelque part ?

     -     Il y en a un mur tout couvert là-bas, dit Marie en pointant le fond de la pièce.

Jean se lança instantanément dans la mer de balais, traversa le placard et revint avec trois énormes trousseaux de clés.

     -     Essayons-les !

Le trois amis se mirent alors à essayer toutes les clés une par une, ce qui se révélait être assez long.

     -     Dépêchons-nous, pressa Marie. La cloche va bientôt sonner.

Au moment où Jean allait répliquer, il entendit Yvan pousser un petit cri de victoire. La clé qu'il venait d'essayer avait débarré la porte.

Sentant son cœur battre à tout rompre, Jean s'écria :

     -     Allons-y !

Il ouvrit la porte, sentant déjà l'air du toit lui ébouriffer les cheveux… puis se figea net. Devant lui ne se trouvait pas une entrée vers le toit, mais plutôt une espèce de gelée bleue fluorescente qui occupait l'entièreté du cadre de porte.

     -     Qu'est-ce que c'est que ça ? fit Marie d'un air dégoûté.

     -     Ça ressemble à du Jell-O, remarqua Yvan.

Tout à coup, Jean, hypnotisé par la substance translucide et gélatineuse, fut prit de l'incontrôlable envie qu'ont parfois les petits enfants de toucher à tout. Il tendit alors la main et l'inséra dans la gelée. Cette dernière était chaude et agréable au toucher. Le jeune élève allait inviter ses amis à faire de même quand il se rendit compte qu'il ne parvenait pas à retirer sa main de la gelée ! Pire encore : la substance l'attirait, et la moitié de son bras avait déjà disparu !

      -     Tirez-moi ! s'écria-t-il, paniqué.

Plus vifs qu'un élève sprintant pour ne pas arriver en retard, Marie et Yvan sautèrent sur Jean et le tirèrent de toutes leurs forces vers l'arrière. Malheureusement, cela n'eut aucun effet et accéléra même la succion de Jean par la gelée. Yvan forçait si ardemment que ses chaussures cirées glissèrent sur le sol et ses pieds s'enfoncèrent dans la substance, qui se mit à l'aspirer aussi. Quand Jean fut complètement englouti, Marie se concentra à tirer Yvan, mais ce dernier était trop grand pour elle.

      -     Va chercher du secours ! supplia-t-il avant de disparaître.

Les membres agités de secousses dû à l'adrénaline, Marie se dirigea péniblement vers l'entrée du placard. Alors qu'elle s'apprêtait à quitter la pièce, un long lasso de gelée bleue surgit du cadre de porte, attrapa la jeune fille par la taille et la tira vers l'arrière. Marie eut tout juste le temps de pousser un cri de terreur avant de se faire engloutir tout entière.

Aussitôt que Marie eut disparut, la porte de métal se referma. On pouvait désormais lire en son centre :


« Vous étiez prévenus… »




À suivre…




Attention :

Défense d'entrer sous peine de vivre d'effrayantes aventures