Le 7e étage : La légende
Partie 3
Les frères Nirom
- AAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHH !!!!!!!!!
- Tout va bien Marie ! Arrête de hurler ! ordonna Jean qui avait enfoncé ses doigts dans ses oreilles.
- Tout ne va pas bien ! s'emporta Marie.
En effet, la situation des trois amis était plutôt préoccupante. Après avoir été aspirés par la gelée bleue, ils avaient eu l'impression de suivre un long toboggan avant d'être violemment recrachés dans une gigantesque pièce aux murs de pierre. (Yvan, qui avait facilement le mal des transports, s'était retenu de vomir à plusieurs occasions.) Les trois amis avaient atterri sur un sol dur, et ils étaient recouverts de la substance fluorescente (qui sentait étrangement le sucre).
Une fois que Jean se fut habitué à la forte lumière blanche qui éclairait la salle, il se mit à la parcourir du regard.
Derrière lui se trouvait une réplique exacte de la porte du septième étage, excepté que la serrure ne s'ouvrait pas avec une clé, mais avec une combinaison de six chiffres. Le cadre de porte (encore rempli de la substance bleue lumineuse) était encastré dans le mur du fond, et un long tapis rouge le reliait à l'autre bout de la salle, où une autre porte en bois à double battant permettait de sortir de la pièce. De grandes fenêtres déversaient une lumière blanche sur la pierre grise et nue des murs. Il n'y avait pas de lampes au plafond, mais des flambeaux (qui servaient à éclairer durant la nuit) étaient accrochés sur les murs.
« Ça ressemble à une salle du trône », se dit Jean. « Sauf qu'il n'y a pas de trône ».
- Mmmm, fit tout à coup Yvan. Ça goûte vraiment le Jell-O.
Le jeune garçon était en train de lécher la substance bleue sur ses doigts.
- Beurk ! grimaça Marie. Tu ne sais même pas ce que c'est réellement !
Puis, se levant précipitamment sur ses jambes, elle ajouta :
- Ne perdons pas une seconde ! Retraversons la porte et quittons cet endroit… peut importe ce que c'est.
- Tu veux rire ? s'exclama Jean. Nous venons tout juste de réaliser un exploit digne d'un film de science-fiction ! Cette pièce (il agita les bras pour désigner la salle) est vraisemblablement une autre dimension. Ou alors, la porte nous a téléportés ailleurs sur Terre… peut-être même sur une autre planète ! Tu ne trouves pas ça génial ?
- Je trouve surtout que nous avons mis notre nez là où n'aurions jamais dû le mettre, éructa Marie, et que par ta faute, nous avons été transportés dans un endroit dont on ne connaît rien. Maintenant, partons avant qu'il ne soit trop tard !
Malheureusement, au moment même ou elle venait de terminer sa phrase, la gelée de la porte se mit à émettre de moins en moins de lumière. Puis, soudainement, elle se rassembla en une grosse boule qui disparut en faisant une petite explosion de gélatine (dont Yvan fut recouvert pour une deuxième fois).
Marie jeta un regard enragé à Jean et se mit à courir après lui en criant :
- Jean Norris !!!!! Viens ici que je te donne une bonne leçon !
Jean, qui savait que ce n'est jamais bon signe quand on vous appelle par votre nom complet, prit ses jambes à cou et fit des zigzags dans toute la salle. Yvan tenta tant bien que mal de calmer Marie, mais la jeune élève était si en colère que de la fumée lui sortait presque par les narines. Du moins, c'était l'impression qu'avait Yvan.
Les enfants auraient pu continuer de se chamailler pendant un long moment si une voix n'avait pas interrompu leur dispute :
- Alerte ! Alerte à l'intrus !
Les élèves se figèrent ; Au fond de la salle, la porte à double battant venait de s'ouvrir, et un garde portant une armure entièrement faite de miroirs brandissait un sabre en leur direction.
- Plus un geste, vils espions ! avertit le soldat. Rendez-vous sur-le-champ, ou alors périssez sous ma lame !
Les trois amis ne bougeaient pas d'un pouce de peur de recevoir un coup d'épée. Soudain, Jean réalisa que ce n'était pas digne d'un héros. S'il voulait les sortir de cette situation, il fallait qu'il emploie la ruse.
- Rien ne me plairait plus que de me battre avec vous, s'essaya Jean. Malheureusement, je n'ai pas d'épée avec moi.
- Mmmm… Voilà qui est embêtant, remarqua le garde (à ce moment, il baissa son arme et perdit tout aspect menaçant). Peut-être devrais-je aller voir mon commandant pour lui demander de vous en prêter une…
Brusquement, Jean bondit sur le garde en pleine réflexion et, d'un bon crochet du droit, l'envoya valser au sol. Marie et Yvan en profitèrent pour s'enfuir de la salle, Jean sur les talons.
- Bien joué, dit Marie à son ami.
- Merci, souffla Jean, qui sentait la fierté lui monter à la tête.
- C'est bien beau d'avoir assommé le garde, mais je tiens à remarquer qu'il a donné l'alerte et que nous n'avons aucune idée de où nous allons ! paniqua Yvan.
Effectivement, le trio courait de pièce en pièce, de couloir en couloir, sans jamais s'arrêter. Dès qu'ils ralentissaient l'allure, une patrouille de soldats les rattrapait, et ils repartaient de plus belle.
Les pièces qu'ils traversaient étaient très semblables à celle de la porte au Jell-O, à l'exception qu'elles étaient meublées et richement décorées, un peu à la manière d'un château.
- Là ! pointa Jean. Enfermons-nous dans cette salle au fond du couloir. Les portes ont l'air d'être faites de métal ; elles résisteront quand les soldats voudront les enfoncer.
Désespérés, les enfants pénétrèrent dans la salle, refermèrent les portes et mirent en place l'immense loquet de fer forgé. À bout de souffle, ils s'effondrèrent dos contre la porte et se rendirent compte… que la salle était occupée.
Non, pas uniquement occupée. Bondée aurait été un terme plus juste.
Des dizaines de gardes étaient postés contre les quatre murs, et, au centre de la pièce, étaient assis en cercle une vingtaine de ce qui semblait être des aristocrates. Homme comme femme, tous portaient des vêtements bouffants aux tissus épais et de qualité. Les dames étaient parées de boucles d'oreilles si longues et lourdes que Marie était sûre qu'elles allaient leur arracher les lobes. Les messieurs, eux, portaient des monocles de grosseur variable. Jean trouva qu'ils ressemblaient étrangement à son arrière-grand-père.
Tous ces nobles étaient bien à l'aise sur des coussins placés par terre, et ils regardaient en chuchotant deux hommes au centre du cercle. Ces hommes étaient incontestablement les maîtres des lieux, car ils portaient des couronnes dorées et dégageaient une attitude de souverain. Les deux monarques avaient les cheveux blancs et se ressemblaient beaucoup. Toutefois, l'un d'entre eux portait une armure de miroirs ressemblant à celle des gardes, et l'autre revêtait un simple sarrau blanc aux boutons incrustés de pierreries.
Les hommes étaient assis sur des chaises et se disputaient une partie d'échecs qui semblait être particulièrement ennuyante.
Tout le monde était si concentré par le jeu des monarques que même les gardes ne se souciaient point de la présence des enfants. Yvan tenta d'approcher l'un d'eux :
- Heu, excusez-moi… commença-t-il.
- Chut !! l'interrompit un soldat. Personne ne doit déranger ses Suprématies lors de leur Combat de Matière Grise.
Les trois élèves se turent, intimidés, et oublièrent qu'un contingent de gardes étaient à leurs trousses derrière les lourdes portes de métal.
Les joueurs fixaient intensément leur jeu, mais ne bougeaient pas d'un centimètre. À part les légers chuchotements des nobles, il n'y avait aucun bruit dans la salle.
Tout à coup, le roi à l'armure bougea une pièce sur l'échiquier (cela ne paraît pas très surprenant, mais après de longues minutes à observer des gens figés, un simple mouvement peut avoir l'effet d'une décharge électrique).
- Échec et mat ! s'écria le roi aux miroirs.
Il se leva si prestement de sa chaise qu'elle tomba avec fracas sur le sol. L'autre roi grimaça en constatant sa défaite.
- Vive le roi Gauss !!! scandèrent les nobles.
Comme toute l'assemblée s'était mise à applaudir, les enfants se dirent qu'il aurait été impoli de ne pas en faire autant.
Mais, lorsqu'ils tapèrent dans leurs mains, tous les regards se tournèrent instantanément vers eux.
Et c'est à ce moment que les gardes de l'autre côté de la porte défoncèrent cette dernière et encerclèrent les trois intrus.
Prenant son air le plus sérieux, le roi gagnant demanda :
- Qui êtes-vous, petits intrus ?
- Nous sommes Jean, Marie et Yvan, expliqua Jean. Nous sommes arrivés ici par erreur à travers une sorte de
portail. Vous savez, celui qui se trouve dans la grande salle au fond du château. D'ailleurs, pourriez-vous nous dire si nous sommes toujours sur Terre, ou alors avons-nous été transportés dans une autre dimension ?
Ce fut le roi en sarrau qui prit la parole :
- Ma foi, je n'ai aucune idée de ce que peut bien être la « Terre ». La contrée de notre royaume se nomme plutôt Erialocs Noissimmoc. Ayez l'obligeance de vous incliner devant vos rois Youston Nirom et Gauss Nirom !
Jean avait beaucoup trop de fierté pour s'incliner devant ces vieux rois narcissiques, mais la pointe d'une lance dans son dos le fit changer d'avis.
- S'il vous plaît, supplia Marie, ne nous faites pas de mal. Nous avons été transportés ici par accident. Réactivez la porte, et vous ne nous verrez plus jamais !
- Voilà la chose sensée à faire, dit Youston.
- Tout à fait sensée, renchérit Gauss, le roi aux miroirs.
Le trio fut soulagé, jusqu'à ce qu'un noble vint à se lever de ses coussins pour chuchoter quelque chose à l'oreille des rois. Comme les enfants étaient encore agenouillés, ils ne purent pas entendre ce qu'il dit, mais Jean avait un mauvais pressentiment. En effet, quand le noble vint se rassoir, il avait un sourire mesquin et des yeux pétillants.
- Avant tout, commença Youston, puis-je me permettre de vous offrir l'hospitalité ? Maintenant qu'il est clair que vous n'êtes pas des ennemis, je vous propose de vous reposer dans les chambres de l'aile ouest pour quelques heures, avant de pouvoir repartir vers votre monde.
- Sans vouloir vous offenser… s'essaya Jean.
Mais, encore une fois, la lance d'un garde dans son dos le fit taire.
- Il est très malpoli de refuser des invitations royales, fit remarquer Gauss. Allez ! Gardes, conduisez-les au Lieu de Repos.
- Mais nous devons absolument repartir ! s'opposa Marie.
Hélas, personne ne l'entendit, car les gardes escortèrent les enfants hors de la salle. Enfin, escorter n'était peut-être pas le bon terme, car les soldats avaient plus l'air de les traiter en prisonniers.
Une fois que les portes en métal se furent refermées, tous les nobles de la salle s'esclaffèrent de rire. Le roi Youston fit un clin d'œil au duc Alère, qui avait chuchoté à l'oreille des rois.
- Je vous félicite pour votre idée, cher duc. Ces enfants feront de parfaits petits esclaves !
À ces mots, les rires redoublèrent.
À suivre…


