Journal étudiant de Coralie Nadeau

l'Opiniâtre

Le 7e étage : La légende



Partie 4


Le Lieu de Repos
























     -     Aïe !

     -     Ouch !

     -     Ouille !

Les trois amis venaient d'être violemment jetés dans une immense grotte-cellule en dehors du palais. Après avoir verrouillé la lourde grille, les gardes aux armures scintillantes s'en furent en riant bruyamment.

     -     Mon pantalon est tout déchiré, se plaignit Yvan.

     -     Mes cheveux sont pleins de terre, se désola Marie.

     -     On est vraiment mal barrés, renchérit Jean.

Le moral dans la cave était au plus bas. Jamais, en se levant le matin même, les trois élèves n'auraient cru que la journée allait être aussi désastreuse. Piégés dans cette caverne hostile et sans espoir de revoir un jour leur monde, Jean et ses amis se morfondaient sur leur sort quand, soudain, un bruit retentit :


Cric, crac, cric, crac


Intrigués, les jeunes élèves levèrent la tête pour fixer le fond de la cave, qui disparaissait dans une épaisse couche de ténèbres.

Le bruit devint de plus en plus fort, puis Yvan réalisa :

     -     Ce sont des bruits de pas !

     -     Oh non ! Nous allons nous faire dévorer par un horrible monstre ! paniqua Marie.

     -     Restez derrière moi, intima Jean.

Le jeune élève s'empara d'une grosse roche et se positionna vaillamment devant ses amis pour les protéger. Tout à coup, une silhouette se découpa dans le fond de la grotte.

     -     N'approchez pas ! avertit le garçon.

Peu à peu, la silhouette se précisa, jusqu'à devenir un homme assez petit portant une vieille salopette.

     -     Par la barbe de Perlimpinpin ! s'écria l'homme. Les Élus ! Ils sont là !

     -     HOURRA !!! clamèrent d'autres silhouettes qui venaient de sortir de l'ombre à leur tour.

Un océan de prisonniers déferla dans la cave. Contrairement aux aristocrates rencontrés quelques minutes plus tôt, ces gens avaient le visage couvert de suie et portaient tous le même type de salopette crasseuse.

     -     Le moment tant attendu est enfin arrivé ! se réjouit quelqu'un.

     -     Gloire aux élus ! proclama un autre.

     -     Mais enfin ! Qui êtes-vous ? demanda Marie, complètement stupéfaite.

Les prisonniers se turent, puis après un court silence, l'homme de petite taille prit la parole :

     -     Saperlipopette ! Mais nous sommes les Esclaves du Lieu de Repos, bien entendu. Cette grotte est appelée                Lieu de Repos parce que les plupart des prisonniers y meurent et reposent enterrés dans les profondeurs

           de la terre. Depuis près de trente ans, nous creusons dans la mine royale pour les frères Nirom, ces

          souverains tyranniques ! Mais ce temps est désormais révolu, puisque vous êtes venus, exactement       

          comme l'avait prédit la Prophétie.

     -     Quelle prophétie ? questionna Jean.

     -     Amenez l'oracle ! ordonna le petit homme, qui semblait vraisemblablement être le chef des prisonniers.

Une allée se créa parmi la foule, et une dame âgée s'avança vers les trois élèves. Elle avait des cheveux blancs nacrés et des yeux couleur saphir.

     -     Hum, fit-elle en les apercevant. Je m'attendais à ce que les Élus soient plus grands.

Jean, pour qui l'ego venait d'être sauvagement attaqué, bomba le torse pour contrer les dires de la dame. L'ancienne grimaça, puis ses yeux semblèrent briller et elle se mit à réciter la Prophétie.

     -     Un jour, trois élus franchiront les grilles de la cave

          Ils seront grands, forts et délivrerons tous les esclaves

          Ils apporteront la paix pour tous les hommes

          Et détrônerons ces horribles frères Nirom !

Après une pause pour mettre de l'emphase sur les sages paroles qu'elle venait de prononcer, l'oracle se présenta :

     -     Je suis la chamane Tluarussed, mais vous pouvez m'appeler Tlu. Voici mon lieutenant en second, le      

          caporal Bellelune. (Elle désigna le petit homme, qui prit un air solennel). Grâce à vous nous allons enfin

          pouvoir mener à bien notre plan d'évasion et provoquer une révolte !

     -     Anarchie !!! s'écria Bellelune.

     -     Non, corrigea Tlu. Nous prônons la dé-mo-cra-tie.

     -     Oui, oui, bien sûr, toussota Bellelune d'un air déçu.

Jean réalisa que ces pauvres prisonniers avaient tout compris de travers, alors il se sentit obligé d'intervenir.

     -     Nous sommes navrés, mais tout cela n'est qu'une épouvantable erreur. Mes amis et moi sommes arrivés

          dans votre monde par erreur à travers une sorte de portail. Nous ne savions même pas que vous existiez,

          alors comment pourrions-nous vous aider à vous libérer ? Nous aussi nous sommes pris au piège dans

          cette prison.

     -     Pffff, fit Tlu en levant les yeux au ciel. Tout cela n'a aucune importance. Dès que la révolte sera finie, vous

          pourrez aisément repartir à travers le Portail Interdimensionnel.

     -     Vous savez comment il fonctionne ? demanda Marie, pleine d'espoir.

     -     Évidemment, répondit la chamane. Ces portails ont été construits par le célèbre inventeur Regél, il y a

          plus de cent ans. Grâce à eux, il a pu voyager dans des centaines de mondes.

     -     Wow ! s'émerveilla  Yvan. Et dire qu'on avait ce portail au 7e étage depuis tout ce temps !

     -     N'y pense même pas, l'avertit Marie. Dès que nous serons rentrés à l'école, nous détruirons ce satané

          portail.

Jean, qui avait commencé à réfléchir à comment ils allaient combattre les gardes, réalisa qu'ils n'avaient pas de grandes chances contre leurs lances affutées.

     -     Vous dites que nous sommes des élus, mais je ne vois pas en quoi nous pourrions vous aider à vous

          libérer, rappela le jeune garçon.

Le caporal Bellelune prit un air plus sérieux.

     -     Détrompez-vous, jeune soldat ! Selon l'oracle Tlu, vous seuls êtes capable d'utiliser ces armes

          dévastatrices. Elles nous ont été envoyées par le dieu de la guerre Tnopud, voilà près de cinquante ans.

Des esclaves s'avancèrent en portant un vieux plateau rouillé comportant plusieurs objets familiers. Jean, Marie et Yvan s'exclamèrent simultanément :

     -     Des shurikens !

     -     Des sarbacanes !

     -     Des yoyos !

Bellelune sourit de toutes ses dents.

     -     Je savais qu'ils sauraient se servir de ces armes ! s'exclama-t-il.

     -     Attendez, vous ne savez pas ce que sont ces objets ? s'étonna Marie.

     -     Pas le moins du monde. Même les plus intelligents parmi nous n'ont pas réussi à découvrir leur utilité.

Jean, tout excité à l'idée de pouvoir à nouveau tenir un Shuriken –ses parents lui avaient enlevé tous ceux qu'il possédait après qu'il ait brisé l'entièreté des cadres de la maison- se jeta littéralement sur le plateau et s'empara d'une des étoiles en métal poli. D'un geste expert, il l'envoya vers la paroi de la grotte, et l'arme tranchante se ficha dans la roche. À son tour, Marie empoigna une sarbacane, prit une grande inspiration, puis souffla ; une petite fléchette alla se planter à côté du shuriken. Finalement, Yvan, les doigts encore tout collants de gelée de portail, saisit un des yoyos. Ceux-ci étaient particuliers, car ils étaient hérissés de pics rétractables. Le jeune élève, qui participait régulièrement à des compétitions de yoyos dans ses temps libres, envoya la boule piquante vers les profondeurs noires de la cave, puis le ramena dans sa paume dans un mouvement stylé.

     -     Ohhhh !!! s'émerveilla la foule d'esclaves.

     -     Je ne savais pas que tu savais utiliser une sarbacane, dit Jean à Marie.

     -     Et bien quoi ? s'offusqua-t-elle. Tu penses que je ne sais rien faire d'autre que de jouer avec des poupées ?

     -     Ben…, commença Jean.

Marie le fit taire d'un geste. Elle s'abstint toutefois de mentionner qu'elle avait appris à maîtriser la sarbacane en regardant un de ses films préférés : « Comment devenir une princesse guerrière avec Pocahontas »

     -     Les shurikens sont bien amusants, dit Jean, mais je ne vois pas en quoi cela pourra nous protéger des

          gardes du palais.

     -     Au contraire, jeunes gens ! s'interposa Tlu. Vous venez de nous montrer la solution ! Voyez vous,

          expliqua-t-elle, cela fait plusieurs décennies que nous sommes enfermés dans le noir de cette cave. Par le

          passé, nous avons déjà réussi à ouvrir les grilles pour nous échapper, mais, comme vous l'avez sans doute

          remarqué, les gardes des frères Nirom portent des armures faites de miroirs. Le climat de notre monde

          étant très ensoleillé, il nous est impossible de les combattre, car nos yeux sont devenus trop sensibles à

          la lumière. La réflexion du soleil sur les armures nous aveugle dans les combats au corps à corps.

Tlu se détourna des trois amis pour regarder le tas d'armes déposées sur le plateau.

     -     Grâce à vos qualités d'Élus, vous allez pouvoir nous apprendre comment utiliser ces armes. Ainsi, nous

          serons capables de combattre les soldats à distance, et regagner le contrôle du monde d'Erialocs

          Noissimoc ! Vive les Élus !

     -     Vive les Élus, scandèrent les esclaves.

     -     Vive moi ! s'écria Jean.

Marie se prit la tête dans les mains, désespérée.

     -     Cela ne va pas régler ses problèmes d'ego, dit-elle en soupirant.





À suivre…