La théorie des « ramassis »
Une grande percée des mystères de la vie
Toute personne qui fréquente la cafétéria de l'école connait, ou du moins reconnait, les fameux « ramassis ». Lorsqu'on fait abstraction des succulents plats principaux, les desserts sont toujours les bouquets finaux des menus de notre prestigieuse cafétéria. Il faut bien se l'avouer, ce ne sont toutefois pas tous les desserts de la cafétéria qui peuvent postuler pour la huitième merveille du monde. Malgré tout, toutes les sucreries les plus épouvantables qui ont un jour pu défilé sur le présentoir des desserts sont largement compensées par l'intervention de la plus divine des inventions : Le ramassis.
Vu par certains comme étant de la bouillie de cerveau d'extraterrestre, je considère pour ma part cet entremets comme le salut de la race humaine. Il me suffit de l'apercevoir depuis la fin de la longue ligne d'élèves affamés, reposant joliment dans des petits bols de porcelaine, pour que j'aie un soudain afflux d'énergie. Mon cœur commence dès lors à battre comme un dément, et je pleure (presque) de joie en me répétant : « Il est de retour ! »
Qu'est-ce qu'un ramassis ?
Pour que vous puissiez mieux comprendre toute la divinité de dessert, il faut essayer de vous le décrire. Hélas, de puérils mots sur un écran ne pourront jamais vous faire vivre la pleine apogée gustative de cette pâtisserie hors du commun. J'ai baptisé ce dessert de « ramassis » (nom peu éloquent, mais simple), tout simplement parce que c'est un gros ramassis de muffins et de gâteaux, un peu comme une bagatelle qui aurait été mise au mélangeur (blender, pour les Français de ce monde). Ce que j'adore particulièrement, c'est sa texture non-uniforme et son gout cachotier. En effet, bien que la pâte elle-même semble lisse et sans intérêt pour la langue, ce dessert comporte en vérité des centaines de subtilités. Alors que dans une bouchée vous pouvez ne manger que de la crème onctueuse, un peu plus loin se trouve un moelleux morceau de gâteau au chocolat, et encore plus profond, votre cuillère percera la délicate enveloppe d'un bleuet bien juteux. Tantôt des morceaux de biscuits durs et croquants peuvent faire travailler vos dents, tantôt une très légère crème fouettée peut se répandre dans vote palais. On y retrouve autant des minuscules pépites de chocolat noir que des canneberges à la chair un peu rêche qui sont sucrées et acidulées. Les morceaux de biscuits peuvent être granuleux et se mélanger avec harmonie avec le glaçage, qui, de son côté, peut être plus liquide ou plus consistant. Parfois même, les morceaux de gâteaux se désagrègent dans le glaçage, et il est alors imprégné de pleins de petits grumeaux qui me rappellent la farine de blé entier. C'est un vrai délice !
Quant au gout, il est très variable. Parfois, la concentration en biscuits est plus élevée et le rend plus sucré. D'autres fois, il y aura plus de fruits, comme des framboises, ou encore des morceaux de muffins riches et fibres, qui donneront au ramassis une saveur plus douce où l'on goutera plus les céréales.
D'où viennent ces irrégularités ?
Le gout de ce dessert aussi miraculeux que l'apparition de la vie sur Terre n'est cependant pas le seul aspect qui le rend mystérieux. En effet, celui-ci, contrairement aux autres pâtisseries de la cafétéria, ne revient pas à des intervalles réguliers. Comme preuve, de décembre à février, il n'y en a pas eu sur les présentoirs. Mais soudainement, au début de mars, il y en avait de grandes quantités pendant plus de trois jours !
Cette constatation rigoureuse et très scientifique donne donc naissance à la magnifique :
Théorie des ramassis
La théorie illustrée :
Cette théorie explique parfaitement bien le fait que la composition du ramassis soit si variable, car la matière première utilisée n'est jamais la même. Il n'est pas nécessaire de s'affoler, les biscuits trop périmés et moisis sont sans doute jetés à la poubelle (du moins on l'espère). Comme le dirait si bien Mme Marcoux, la merveilleuse professeure de français dont j'ai l'honneur d'être l'élève, ce dessert peut rentrer dans la catégorie des « touski » (tout ce qui reste). Les élèves n'ont pas l'air de beaucoup l'apprécier au premier coup d'œil, mais pourtant il est parfait sur tous les points. En effet, il est bon au gout, simple à faire, économique et plus important encore : il empêche le gaspillage ! Cela devrait suffire à convaincre les écologistes de ce monde de chérir les ramassis à leur juste valeur. Si un jour vous avez l'occasion de gouter aux ramassis, je vous recommande fortement ceux fait à base de ce que je soupçonne être du pain d'épice. Sa texture assez dense et les quelques canneberges dont il est garni en font un grand régal !
Selon la théorie des ramassis, il serait possible d'essayer d'en cuisiner chez soi. Je n'ai toutefois pas osé tenter l'expérience. D'un coté, j'ai peur d'échouer et de faire honte à mon dessert préféré, mais de l'autre j'ai aussi peur de réussir. Si jamais mes essais culinaires étaient couronnés de succès et que je pouvais en manger quand bon me semble, le ramassis n'aurait plus la même valeur à mes yeux. En effet, c'est sa rareté et le mystère partiel de ses ingrédients qui le rend si important. De plus, l'ingrédient principal, des vieux muffins de la cafétéria, est difficile à obtenir, car c'est tout un art que de les laisser moisir correctement sur un comptoir.
Pour conclure, le véritable drame découvert dans la théorie des ramassis n'est pas de savoir que son si bon gout provient de vieux muffins abandonnés sur le comptoir. Au contraire, c'est de savoir que pour obtenir ce si bon gout, il faut être patient et attendre plusieurs mois qu'ils vieillissent tranquillement dans leur emballage ! Afin de survivre à ces attentes qui m'apparaissent souvent interminables, je me remémore les sages paroles d'Edgar Morin, grand sociologue et philosophe français :
« La patience est la clef du bonheur »
En tout cas, j'aimerais bien trouver la clé du coffre-fort de la cafétéria qui garde jalousement la recette exacte des ramassis !
photo: Coralie Nadeau
photo: Coralie Nadeau
photo: Coralie Nadeau
Coralie Nadeau
9 avril 2020
dessins : Coralie Nadeau

